Depuis 3 ans, j’attendais l’occasion de retourner au Vietnam, essayer de voir enfin cette vallée à la frontière de la Chine, refaire cette route réputée comme étant la plus belle route de moto du Vietnam. J’y étais passé en 2008, 19 km où je n’avais vu que des nuages, de la brume et de la pluie… Cette route était comme un rêve inachevé, une douce obsession perdue à la frontière de la Chine, dans une des plus belles régions du Vietnam : montagnes superbes, vallées verdoyantes et dépaysement total.
Alors nous voilà partis, 5 motards : 2 Québécois, mon frère Gilles et mon copain Julien, 2 amis allemands, Michael et Jörn. Je suis le 5e, le plus vieux des 5, un Québécois vivant en Allemagne et ayant vécu 2 ans à Hanoi, alors reste à savoir ce que je suis devenu.
Si moi je connais tout le monde, les autres ne se connaissent pas. La chimie entre nous 5 aurait pu mal tourner, mais personne n’a eu l’impression qu’il devait s’adapter ou être accepté par les autres. La langue commune n’était ni le français, ni l’allemand mais l’anglais que tout le monde comprend et parle à sa manière.
On s’est donc retrouvé à Hanoi vers le 20 octobre. Premier choc : « Ça réveille même après 23 hres de vol ».: Circulation dense, des milliers de motos dans tous les sens, surchargées de tout ce qu’on peut imaginer, à travers les voitures, les marchands ambulants. Où sont les stops? Les panneaux de signalisation? Des klaxons, pas de clignotants, une forme d’anarchie qui fonctionne très bien, une fois qu’on s’est habitué à cette autre règlementation.
On avait loué des motos d’un très bon ami vietnamien, Hung (Flamingo Travel). Je l’ai connu alors que j’habitais Hanoi et je savais pouvoir me fier à lui à 100 %. Il nous a préparé 5 Honda 250 XR : pneus neufs, chaine neuve, des outils et des pièces de rechange. Il a même fait poser par ses mécanos un peu étonnés un rétroviseur par moto. « Pour quoi faire, se disent-ils, c’est en avant qu’on regarde quand on conduit, peut-être sur les côtés, mais jamais en arrière ». On en voulait 2, mais c’était inimaginable, où les trouver?
On voulait aussi 5 motos identiques pour pouvoir plus facilement les réparer en cas de panne. Hung a aussi offert de nous faire accompagner par un de ses mécanos, lequel pourrait aussi servir de guide. Mais les compétences techniques de Gilles et de Michael sont exceptionnelles, celles de Jörn et les miennes bonnes et le guide, c’était moi. En cas de besoin, Julien pouvait faire la gestion, c’est sa spécialité : diriger, faire faire et, au besoin, tout faire!
La puissance des motos est aussi suffisante, pas beaucoup de chevaux (19) mais un couple suffisant pour rouler longtemps en 3e, et on a rarement dépassé 90 km/h. Gilles s’est même dit surpris de passer en 6e. Ce qui compte c’est la capacité de rouler sur toutes sortes de surfaces, à travers toutes sortes d’obstacles, allant du nid-de-poule avec des poules dedans au buffle couché sur la route au détour d’une courbe, en passant par les cyclistes, piétons, cailloux, sans oublier des camions ou bulldozers en plein milieu d’un chemin large comme le bulldozer.
PREMIÈRE JOURNÉE : perdus et retrouvés
On était allé chercher les motos la veille du départ pour pouvoir partir tôt. « Mes 40 ans d’expérience de conduite de plusieurs types de véhicules récréatifs et automobiles viennent de prendre le bord en quatre coins de rue, soit la distance pour se rendre à l’hôtel et on n’est pas encore partis! » (Gilles)
Au matin, on part vers 7 h pour éviter la circulation. Erreur! On n’évite rien du tout, on est en plein trafic… « On est high, ma caméra Go Pro sur mon casque est à ON. » (Gilles). Direction plein nord. On veut se rendre au lac de Ba Bé qu’on atteindra, mais pas aujourd’hui. Une fois traversé le fleuve, on s’empresse de faire une pause. Déjà 30 minutes et, d’après Gilles qui a pourtant fait de la course de motocross et du flat track, c’était le moment le plus stressant du voyage. Dix minutes de pause et c’est reparti sur l’autoroute, où, au moins, tout le monde ou presque roule dans la même direction!
Notre idée est de filer sur cette autoroute pour sortir le plus rapidement possible de la ville. Mais là, sur une première petite route, on se perd – ou plutôt je me perds. C’est quand même moi le guide : la carte indique de filer tout droit, ce qu’on a fait et on s’est retrouvé sur une route en terre battue mouillée et glissante comme une patinoire.
On a encore regardé la carte, sans vraiment savoir où l’on était rendus. J’ai demandé la direction d’une ville pas trop éloignée et, malgré mon accent en vietnamien, on m’a compris et fait refaire ces 10 ou 15 derniers km de mauvaise route.
La signalisation routière est là mais le nom indiqué sur les panneaux n’est pas nécessairement celui inscrit sur la carte… Sans compter que les gens utilisent parfois un 3e nom, alors faut se débrouiller et vérifier deux fois plutôt qu’une. Il faut aussi savoir que le GPS n’est pour l’instant pas vraiment utile au Vietnam. Mais qui sait, à la vitesse où tout change là-bas, dans 1 an ou 2, tout sera peut-être sur GPS.
Ba Bé est encore loin. À 15 h, Julien déclare : « Encore 1 heure et après je lâche mon guidon, je suis crevé ». Nous le sommes tous. En huit heures et demie, on a réussi à faire 164 km. Plus tard, on finira par faire une journée à 206 km, ce sera le maximum. En général, on roule à une moyenne de 20-25 km/h, et ce, sans pause repas : on s’arrête le long de la route pour grignoter des trucs achetés au marché, boire un peu d’eau, pas plus.
Première nuit à Cho Chu. On n’a évidemment pas de réservation, encore moins de nom d’hôtel. Mais dans toutes les villes, on trouve des hôtels (nga nghi), chambres avec salles de bain, télé câblée et, pour les motos, un stationnement souterrain; sinon on les gare carrément dans le lobby, cordées avec les scooters. À l’exception de Hanoi, on a toujours payé 10 $ par chambre et le WiFi est maintenant presque toujours inclus.
LA ROUTE N’EST PAS SUR LA CARTE
Bien reposés et après un bon petit déjeuner vietnamien (pho bo, soupe nouilles et bœuf), on fait les 120 km qui nous séparent du lac de Ba Be. Et la plus belle partie de la route à suivre vers Ba Bé n’est pas sur la carte… Le paysage devient de plus en plus montagneux, les routes plus tortueuses. On ne sait jamais ce qu’on va trouver au détour d’une courbe : un paysage à couper le souffle, un chien, par exemple, que Jörn évitera par réflexe, ce qui ne l’empêchera pas de tomber : chien et moto sont OK mais Jörn a une main foulée.
Il faut bien comprendre que dans ce genre de voyage, tout le monde tombe. Je suis tombé 2 fois, non 3, puisque à Haiphong j’ai dû freiner brutalement pour éviter un camion qui m’a coincé et ai laissé tomber la moto au lieu de foncer dans un 10 roues. Par fierté, je suis resté debout à regarder l’acier du conteneur au bout de mon nez. Vaut mieux s’habiller en conséquence.
On pètera 3 ou 4 leviers (embrayage ou frein) durant le voyage. Hung nous dépannera quand on aura des problèmes de communication. Je l’appelle, lui explique mon problème qu’il explique à son tour à mon interlocuteur vietnamien. Puis il me traduit l’information. Traduction à distance.
Arrivée à Ba Bé en milieu d’après-midi. On se loge au premier homestay (logement chez l’habitant) : 3 $ par personne avec WiFi. Faut le faire! Bouffe délicieuse, bière fraiche, vue sur la rivière, village paisible. On décide d’y passer 2 nuits : Gilles est encore sous le coup du décalage horaire (11 heures avec le Québec) et Julien en est à ses premières armes en moto depuis plus de 20 ans. Un peu de repos ne nuira pas.
LÀ-HAUT SUR LA MONTAGNE
Michael, Jörn et moi planifions alors pour le lendemain une virée dans la montagne au pied de laquelle notre auberge se trouve. On trouve une route, puis un pont suspendu large comme 2 vélos et un tablier en planches branlantes, ça passe. Dans un village, après 2 ou 3 culs-de-sac, quelqu’un nous indique un passage boueux entre 2 maisons, et 20 m plus loin, ça monte à pic et c’est étroit comme un sentier de randonnée pédestre.
Et ça monte, ça vire, faut ouvrir une clôture en bambou, ça grimpe encore jusqu’à environ 750 m. Il fait chaud, on est tout en sueur et on ne sait surtout pas ce qui nous attend, mais on est en haut. On rencontre une seule personne, un homme à cheval, puis un chien. On monte encore et, en haut, on trouve une vallée évasée, des champs de riz et un village. De là, une piste, de qualité « carrossable pour un 4X4 militaire », descend dans une vallée. Sur cette « belle route », je profite d’une crevasse pour faire une culbute. Je me retrouve sur le dos, caché par les hautes herbes dans le fond d’un fossé. Je n’ai rien, la moto non plus. Occasion de rire un bon coup et c’est reparti.
Notre petite virée : au total 46 km en 4 h et demie. À l’auberge, le patron nous offre le ruou (alcool de riz fait maison), c’est là un signe d’hospitalité vietnamienne qui fait disparaitre le stress de bien des journées.
TOUR DE MOTO EN BATEAU
Le proprio de notre hôtel nous indique que le seul moyen de rejoindre Ha Giang, la capitale de cette région du Nord, est de traverser le lac en bateau. Une route existe, mais l’idée de faire un tour de moto en bateau nous plait. 4 motos sont chargées avec d’autres marchandises sur une pirogue, la 5e est avec nous sur une autre pirogue. Croisière d’une heure et demie sur un lac magnifique entouré de montagnes couvertes de forêts très denses. On débarque et c’est reparti. Les montagnes sont de plus en plus hautes, belles et avec des paysages verts de toutes les nuances. Les cultures en terrasses défient l’entendement des gens du Nord que nous sommes.
Pour notre voyage, j’avais visé la mi-octobre où il fait moins chaud, où les risques de typhon sont moins grands. Et, à part 1 jour de pluie et 2 jours de grisaille, il a fait beau. On a été chanceux, parce que si dans un tel voyage en moto on est à peu près sûr de se planter, il est totalement certain qu’il va pleuvoir et quand il pleut sur des routes aussi étroites et surprenantes, ça rend le voyage un peu plus risqué.
À 2 PAS DU PARADIS, il y a le purgatoire
Grand hôtel à Ha Giang. Thibaut et Virginie, des amis belges qui travaillent au Vietnam nous y rejoignent. Thibaut n’est jamais venu jusqu’ici, on a bien essayé ensemble une 1re fois, mais on s’était arrêté à Ba Bé. Une 2e fois, le long de la frontière chinoise, un peu plus à l’est, avec Virginie on a préféré se perdre dans un massif de montagnes (100 km en 9 h et un pont de lianes suspendu). Cette fois-ci, on va tous se rendre à Meo Vac, là où passe la route, « ma route ».
Vers 10 h, départ vers le col des Portes du Paradis : la porte du Nord. Nous sommes maintenant 7 motos et il y a du monde sur la route, d’autres touristes aussi en moto, des Australiens et des Vietnamiens.
Au haut d’un col, sur une crête, on a une vue plongeante dans une vallée étroite où se trouvent des petites collines qu’on appelle des seins etla vue dans ce décolleté vaut le coup d’œil. À un croisement, je prends à droite et c’est à gauche qu’il fallait aller. Et là, après environ 40 km de route magnifique, lisse comme une autoroute allemande, pleine de lacets comme seuls les Suisses savent les faire – mais sans la neige – au bout d’une vallée étroite, la route s’arrête. Ici commence notre purgatoire. La route est couverte de gravier gros comme des pavés, et ce n’est ni nivelé, ni tapé, tout est comme en vrac, déchargé d’un camion. Julien y laisse tomber sa moto au bout de 100 mètres et abime son repose-pied gauche.
Je roule devant, la route s’améliore, mais ça grimpe. Je me fais dépasser par 2 Vietnamiennes sur des125 chargées comme des mulets. Gilles a redécouvert ses talents de motocross et nous dépasse à pleine vitesse. Les autres montent doucement. Virginie sur sa 250 avance sans peine, elle qui préfère conduire en ville parce qu’elle n’a pas trop à pencher la moto. Ici, on navigue sans pencher durant 20 km. En haut, on a une vue époustouflante sur les montagnes qui culminent à environ 1 800 m.
Nous voilà à Meo Vac, en plein samedi après-midi, fatigués, heureux d’être arrivés. Surprise : les hôtels sont pleins. En face du marché, un hôtel a 2 chambres. Voilà pour 4 d’entre nous. Thibaut, Virginie et moi irons dormir dans un autre « palace » à l’autre bout de la ville.
IL PLEUT
Dimanche matin, il pleut. C’est notre première journée de pluie. Un typhon frappe la côte à hauteur de Ha Long et, si le vent est faible, la pluie, elle, est continue. Il fait frais aussi, peut-être 20 °C. C’est presque l’hiver.
Thibaut s’occupe avec des mécanos locaux de faire réparer la moto de Julien : un bout de métal, un peu de soudure, de peinture noire et tout est réparé en moins de 30 minutes. Alors, plutôt en profiter pour visiter le marché, pour observer tout ce qui s’y passe. Mais c’est plutôt l’inverse qui se produit. Mes copains qui sont de grande taille (1,80 m) sont toujours l’objet de curiosité, surtout Michael avec ses cheveux longs. Des Vietnamiens prennent des photos. Ça occupe, et nous aurons de quoi causer avec les Vietnamiens le soir venu .
À midi, Thibaut et Virginie sont repartis vers Hanoi, travail oblige. Ils retourneront à Hanoi en 1 jour et demi. Le soir, Thibaut trouvera le moyen de convaincre Virginie d’aller dormir dans un village en montagne, au bout d’un sentier boueux dans lequel il s’étalera de toute sa longueur le lendemain, Virginie en rit encore.
MEO VAC DONG VAN : RIEN QUE DU BONHEUR ET UNE CREVAISON
Lundi, la pluie a cessé. On part vers Dong Van, à 19 km. La route grimpe, creusée à flanc de montagne, à main d’hommes dit-on. La vue est effectivement unique et, là où elle est la plus belle, Julien s’arrête. Non pas pour contempler la vallée étroite, profonde, toute verte au milieu de laquelle s’élève une colline à pic coiffée d’une petite ferme et de bambous, mais pour regarder son pneu avant crevé. 5 gars, 1 crevaison. Gilles et Michael démontent tout, et il ne reste plus qu’à remonter le pneu. Gilles, bien assis au bord du précipice, tente de remettre le pneu sur la jante. Le démonte-pneu s’envole. Jörn, Michael et Gilles se mettent à sa recherche, pas Julien, occupé par une envie urgente, ni moi qui ai repris la roue et – avec 2 démonte-pneus et mes pieds – arrive à remettre le pneu sur la roue.
La vue est toujours aussi magnifique, inoubliable. Je grimpe jusqu’au passage du col et revient vers Meo Vac avec Julien avant que nous repartions au sud vers Cao Bang. En ville, on trouve un démonte-pneu : il y en a dans tous les marchés, faut savoir chercher et communiquer avec ses mains. Le pneu avant de Julien s’est entretemps encore dégonflé. Cette fois, on fait faire la réparation par des experts locaux.
On quitte finalement Meo Vac vers 12 h 30 pour arriver à Bao Lac à 17 h. La route joue toujours au yoyo, et longe la frontière de la Chine. Tout est mouillé, on a parfois un peu de bruine, mais on a surtout des bouts de route en construction. Gilles a même vu une paysanne vêtue de son costume traditionnel et portant sur son dos un panier d’osier tout en conduisant au fouet ses 2 buffles. Et en discutant au téléphone! Tout ça sous un ciel gris, très gris, mais il faisait tellement beau dans nos têtes!
L’hôtel est bien, au bord de la rivière, le resto à 30 mètres. En général, au Vietnam, pour manger, faut aller au resto. Les hôtels locaux n’offrent pas de nourriture, le thé oui, mais pas de bouffe. Mais il est rare de ne pas trouver un petit resto. Le menu est simple, pas cher et la nourriture est bonne. Au Vietnam, j’ai mangé partout, de tout ou presque et je n’ai jamais eu de turista. Évidemment, on ne mange que vietnamien et avec des baguettes, rien d’autre. Mon frère a dû attendre la zone touristique de Ha Long pour pouvoir manger des œufs au plat, du jambon et du pain grillé le matin.
Le voyage continue sans surprise le lendemain jusqu’à Cao Bang. Cette ville – comme Ha Giang, Lang Son et plusieurs villes près de la frontière chinoise – a été démolie par une visite militaire amicale chinoise en 1979. Cette « guerre pédagogique » a été évidemment gagnée par les Vietnamiens, selon les Vietnamiens, et par les Chinois selon les Chinois qui, « pédagogiquement », se sont retirés laissant derrière eux 7 000 morts chinois, 420 chars et des ruines que les Vietnamiens se sont empressés de transformer en monuments de leur victoire.
BAN GIOC, COMME LE NIAGARA
À Cao Bang, on reste 2 nuits. La ville est agréable et, pas loin, à 90 km de route en construction, défoncée ou correcte se trouvent les chutes de Ban Gioc. Un incontournable touristique pour les Vietnamiens et les Chinois, comme Niagara pour les Nord-Américains. Les chutes sont vietnamiennes d’un côté et chinoises de l’autre.
Au retour, Julien découvre qu’il peut maintenant rouler sans se préoccuper des trous, des canards, des bœufs, des motos transportant des poules en cage ou une échelle de 4 mètres. Il file comme il ne l’a jamais fait, il vole au-dessus des obstacles. Là, entre Ban Gioc et Cao Bang, il s’est mis à foncer et à y prendre plaisir : l’inquiétude s’est transformée en témérité.
Au début, le groupe roulait en formation serrée, tous ensemble, moi devant qui ouvre la route et Jörn qui, avec son expérience du Vietnam, ferme la marche. Au fil des jours, comme l’assurance des gens augmente, le peloton se dissout. On s’attend aux intersections importantes et on se raconte des histoires : « J’‘ai encore essayé d’attraper un canard avec ma main! », « j’ai vu un gamin de 3 ans bien assis sur un bœuf »…
LE CHAMP DE FRAISES ou LE PIÈGE À TANKS
Jeudi, il fait beau, 25 à 28 °C. On descend lentement vers Lang Son, le long du fleuve Ky Cung. Rien ne nous fait plus peur, même si tout peut encore nous surprendre.
On arrive tôt à Lang Son et Michael, qui veut voir la frontière chinoise, nous convainc d’y aller par les routes de montagnes. La Chine est à moins de 20 km, Dong Dang, notre objectif est à 3 km de la frontière. La route est belle, puis on prend une piste à gauche, qui rétrécit, qui grimpe, qui devient plus étroite, on passe à côté de maisons, de fermes. La forêt devient plus dense, la piste est large comme un sentier de mules, les branches nous fouettent le visage. Je m’arrête pour mieux voir, pose le pied gauche dans « l’herbe », mais il n’y a rien sous l’herbe : je me ramasse 2 m plus bas, la moto est restée coincée sur la piste! On remet la moto sur ses roues, on rigole et c’est reparti.
Michael est devant et, sur le sentier maintenant large comme un pneu de moto et creusé à flanc d’une colline très à pic, il s’arrête, non pas pour regarder le lac en bas mais pour se demander si l’on est sur la bonne voie. Gilles suit et, pour éviter une roche, fait la même erreur que moi et déboule en bas de la colline. On ne le voit plus, il est 8 m plus bas. « J’ai voulu aller chercher des fraises », lance-t-il.
Il faut rebrousser chemin, il faut faire faire demi-tour aux motos, et on est dans une pente à pic, à gauche ça grimpe et à droite, ça plonge vers l’étang… On fait tout à la main, pour 3 motos : hisser le devant des machines dans la colline, les empêcher de tomber dans le ravin et finalement repartir. On retourne à Lang Son en riant. Une petite virée de 30 km qui nous a bien pris 3 heures.
HARLEY-DAVIDSON
Nous partons le lendemain vers la baie de Ha Long, vers l’ile de Cat Ba. Michael nous fait la surprise avec une crevaison sur la roue arrière. En plein milieu de nulle part, il y a du monde, mais pas de garage de moto. Plutôt que de démonter la roue, on persuade Michael de gonfler le pneu avec un produit allemand « magique » qui bouche les trous. Michael n’a pas confiance, il veut même lire les instructions, c’est un ingénieur après tout! Puis il gonfle le pneu et part en trombe et 10 km plus tard, on s’arrête tous, le pneu est dégonflé, la qualité allemande n’est plus ce qu’elle était… En 5 minutes, la roue est démontée mais, doutant de nos talents de réparateurs de crevaison, je coince Michael et sa roue sur ma moto et on cherche au prochain village un atelier. La famille du mécano est en train de diner. On nous offre le thé pendant que le fils fait le travail. Le père, vêtu d’un t-shirt HARLEY-DAVIDSON, nous tient compagnie, en vietnamien. On retourne vers les copains et la moto, presque contents d’avoir fait une crevaison.
À Ha Long, il nous faut rejoindre le traversier vers l’ile de Cat Ba, la plus grande de la baie de Ha Long. Après tous ces jours de route, nous voilà filant à 8 km/h sur un bateau, entre des ilots rocheux, des villages. On n’a rien à faire, on se laisse conduire pendant 2 heures. À l’hôtel, avec 5 chambres, on occupe tout un étage et je connais un restaurant où la nourriture est excellente et où le menu est un peu plus varié que le menu traditionnel vietnamien. Ce sera notre pied-à-terre alimentaire à Cat Ba : déjeuner, diner et souper.
Nous voilà samedi. Pendant qu’avec Julien je cherche à louer un bateau pour 2 jours, Gilles, Michael et Jörn vont explorer l’ile en moto : ils s’amusent. L’atmosphère a changé, c’est comme si on était en vacances de nos vacances : pas de longue route à faire, pas d’hôtel ou de resto à chercher.
ENCORE EN BATEAU
Notre bateau part tôt après le déjeuner, puis le rythme du voyage prend une autre allure, tout va encore plus lentement, à 5 km/h. On n’a rien à faire sauf regarder le paysage qui change au détour des iles le long desquelles se blottissent des villages flottants : école, centre de santé, mairie, épicerie, tous les services sont là. Le transport se fait en petite barque, souvent à rames. On comprend pourquoi on disait des Vietnamiens que ce sont des boat people : tous les gens, du nord au sud, dans la plaine ou la montagne, dès qu’il y a de l’eau, sont sur des bateaux, des radeaux, des pirogues, bref, tout ce qui flotte!
On prend plein de photos, du soleil, on lit. Le repas, excellent, est servi par l’équipier/cuisinier/matelot/homme de ménage du bord. Le capitaine a un compas (boussole) dont il ne se sert pas et n’a pas de carte marine – qu’il ne saurait sans doute pas lire. Mais il connait la baie comme le fond de sa poche : courants, vents, marées, iles, écueils.
À la fin de la journée, après une sortie en kayak, nous accostons à un restaurant flottant où nous passerons la soirée. Après le repas, en bon Vietnamien, le propriétaire démarre son système de karaoké. Lui, sa femme et un voisin chantent à tue-tête dans le micro, et ils chantent faux. Sachant qu’il vaut mieux participer que subir, avec Gilles et Julien, on se met à chanter un vieux truc américain, et nous aussi on chante faux, très faux. Plus tard, le ruou aidant, on chantera tous, même en vietnamien!
La deuxième journée sur le bateau est comme la première : rien à faire d’autre que de se laisser aller au fil de l’eau et du bon vouloir du skipper.
RETOUR À HANOI
6 novembre, retour à Hanoi par la route qui passe à Haiphong. Deux traversiers et nous voilà plongés dans la cohue, la furie urbaine. Haiphong est l’un des 3 ports les plus importants du Vietnam. La route entre le port et la ville est pleine de camions chargés, ou pas, de conteneurs. La route comporte 2 voies dans chaque direction, et est en construction sur un côté ou sur l’autre ou sur les 2 côtés à la fois. Et tous ces camions veulent se faufiler comme des motos dans la circulation! On se faufile aussi, on passe le long de camions arrêtés ou qui roulent au pas dans des espaces où je n’oserais même pas passer avec mon vélo. Environ 30 minutes de chaos, puis c’est l’autoroute et enfin le pont de Long Bien qui nous fait entrer au centre de Hanoi.
Des rumeurs racontent que les Vietnamiens auraient fait « garder » ce pont contre de possibles bombardements américains par des pilotes américains prisonniers et logés au Hanoi Hilton. C’est le nom donné par les pilotes à cette prison. Les pilotes auraient été chargés la nuit d’assurer l’entretien du pont et, par leur seule présence, d’empêcher les Américains de le bombarder.
La traversée de la ville se fait sans stress, on a vu bien pire, le matin même. Et, nous voilà à l’hôtel, de retour à la « maison ». On décharge les bagages et on rapporte les motos chez Hung, à 2 coins de rue de là.
Thibaut et Virginie nous invitent pour la soirée. Ils arrivent chacun sur leur sidecar. Comme le resto est un peu loin, on monte à 7 sur les 2 sidecars, soit 3 sur un et 4 sur l’autre, Gilles, le 7e est assis sur l’aile d’un sidecar. Ce n’est pas vraiment permis ni sécuritaire, mais on a des casques de vélo, et personne ne semble surpris de voir ce drôle d’équipage dans les rues de Hanoi.
FLEUVE ROUGE, FLEUVE NOIR
Il nous reste encore 1 journée avant le départ de Jörn. On part à moto vers l’ouest, le long du Fleuve rouge (Song Hong). En 20 minutes, on est complètement sortis de Hanoi, en rase campagne. Nous avons prévu aller à la montagne de Ba Vi au sommet de laquelle se trouve un temple édifié en l’honneur de Ho Chi Minh.
PARTIR POUR MIEUX REVENIR
En soirée, Jörn part pour l’Allemagne. Le lendemain matin, c’est Gilles dont l’itinéraire passe par la Corée. Julien, Michael et moi retournerons par Bangkok où nous passerons 2 ou 3 jours, le temps de jeter un coup d’œil sur cette immense ville à côté de laquelle Hanoi fait figure de ville de banlieue.
Le voyage avec les copains a été magnifique. On a fait des erreurs, des bons coups, on s’est plantés mais jamais fait mal. On a vu et expérimenté plein de choses, osé ensemble ce que l’on n’aurait peut-être jamais fait seul. Ça a été la force de notre petit groupe hétérogène, mais où maintenant tout le monde se connait, a hâte de se revoir et se demande bien quelle sera la prochaine étape.
Je dois encore retourner dans le nord du Vietnam. J’ai vu du haut de la montagne sur « ma route », entre Meo Vac et Dong Van, tout en en bas, une autre petite route sinueuse qui va dans le fond de la vallée et qui remonte dans la paroi en face. Elle mérite bien qu’on aille voir où elle mène, vers la Chine peut-être?
Photos : Julien Girard, Michael Otte, Gilles Picard, Jacques Picard, Jörn Waibel