Yvon Duhamel a porté les couleurs du Canada et du Québec au plus haut des courses internationales, il a laissé une descendance qui s’est illustrée également. Ses deux fils Mario et Miguel ont été eux aussi des pilotes internationaux réputés. Sa fille Gina a été cascadeuse dans plusieurs films.
« Super Frog », comme il était surnommé, est décédé en août 2021 à Lasalle, à l’âge de 81 ans. Il mérite bien cet hommage et il entre sans aucun doute dans la rubrique Bâtisseur, car il a été à l’origine de nombreuses vocations, sans oublier la notoriété qu’il a donnée à Kawasaki, en apportant à la marque des résultats internationaux que lui seul était en mesure de réaliser. Un article ne suffira pas à résumer sa vie. Voici la première partie.
Yvon Duhamel est né le 17 octobre 1939 à Montréal, il a un frère et une sœur. À treize ans, il ouvre un magasin de réparation de vélo. Il est attiré par le deux-roues
J’ai eu la chance de parler à Yvon, sa femme Sophie et leur fils Marion, dans leur grande maison de Ville Lasalle qu’il a bâtie de ses mains. Donnons-lui la parole pour la première partie de sa vie.
Ma passion pour les deux-roues a commencé tôt. À 13 ans, je réparais et je louais des vélos. Il m’arrivait même de louer des vélos que je réparais. Heureusement tout s’est toujours bien passé. J’avais trouvé une petite moto « Whizzer », fabriquée en Californie et conçue par un ingénieur aéronautique. J’étais le seul de mon âge à rouler sur cet engin de 2 hp. Ce n’était pas étonnant car je n’avais pas l’âge légal pour conduire ce bijou.
À 13 ans, on n’a pas le temps d’attendre… Je décidais donc de me vieillir d’un an en trafiquant mon extrait de naissance. Je fréquentais monsieur le curé afin de trouver une solution pour mettre la main sur le précieux papier. Après plusieurs essais ratés, j’avais trouvé un plan. Pendant que le curé me préparait un extrait de naissance, le téléphone sonnait. Le saint homme devait se déplacer dans une autre pièce pour répondre au paroissien qui n’était autre que mon ami Tarzan. Celui-ci demandait la liste complète des tarifs épiscopaux. Pendant ce temps-là je subtilisais un acte de naissance, et je le tamponnais du sceau officiel. Mais malheureusement il était à l’envers. Je pouvais compter sur ma sœur pour corriger le tout. À moi la Whizzer!
Mon premier trophée, je l’ai gagné en ski, à Sainte-Adèle. J’avais 14 ans, et déjà le goût de la compétition! C’est également sur les skis que j’ai connu les premières sensations de vitesse, de se pencher dans les virages.
J’ai commencé la moto sur la route. Le déclic est venu du film l’Équipée Sauvage sorti à la fin de l’année 1953. Marlon Brando arborait un blouson en cuir Perfecto et des jeans aux bords retroussés. Il roulait sur une Triumph ThunderBird 6T et c’était le chef de la bande. Devinez quelle était la marque de ma première moto? Une Triumph! C’était la T500 bicylindre 1952, avec fourche télescopique. Je m’habillais comme lui, on m’appelait le Marlon Brando de Ville-Émard. J’avais acheté l’anglaise chez Campbell Cameron à Montréal, où j’allais avec mon ami Jean-Guy Fillion.
C’est à cette époque qu’une belle Italienne du nom de Sofia a attiré mon œil et mon cœur. Son frère avait marié ma sœur, elle faisait pratiquement partie de la famille… J’ai dû lui demander plusieurs fois pour qu’elle accepte de venir se promener à moto avec moi. Puis elle a pris la piqûre!
J’ai fait mes débuts en courses sur glace en 1957 à 18 ans, à Sainte-Agathe sur le lac des Sables. En fait, j’ai participé aux essais et à une manche, mais je ne me suis pas rendu à la finale. La BSA GoldStar 1957 que l’on m’avait prêtée était en fait volée, sans que je le sache. C’est un pilote qui avait reconnu la BSA et avait certainement averti la police. Je me suis donc éclipsé avant d’être associé à un acte que je n’avais pas commis. Pourtant j’avais décroché mes premiers commanditaires. Sofia avait commandité les vis pour les pneus car elle travaillait dans un magasin de cycles. J’avais posé 250 vis à l’avant, 350 à l’arrière, avec des rondelles des deux côtés et une protection interne en pneu, pour éviter le frottement avec la chambre à air. Ce n’était pas idéal car les vis restaient accrochées dans la glace… Georges Davis m’avait prêté un casque et des culottes en cuir! Ma carrière était lancée.
J’ai eu une première expérience de dirt-track avec une moto prêtée également. Sur le circuit dont j’ai oublié le nom, j’avais retrouvé les pilotes Yvon St-Pierre, Don Lorenzetti et Tony Ferracci. Celui-ci avait besoin de pièces et m’avait proposé d’aller les chercher, contre un tour de piste. J’avais bien sûr accepté et j’avais rempli ma mission rapidement. Mais Tony ne voulait plus prêter la moto. C’était sans compter mon tempérament bouillant. Malgré mes 5 pieds 3, je savais me faire comprendre, et j’étais toujours prêt à mettre les poings sur les i. Heureusement je n’ai pas eu besoin d’aller jusque-là. En contrepartie, j’ai gardé la moto trois tours. Ferracci était rendu au centre de la piste pour m’arrêter, mais j’ai pu montrer que j’avais les aptitudes pour rouler devant!
C’était enfin le temps de ma première «road race», course sur route. Cela se passait sur le circuit de Saint-Eugène, vers Rigaud. J’arborais le no 485 et j’avais trouvé une BSA. Roger Brossard m’avait aidé à préparer la moto. Je voulais que tout soit parfait et c’était le cas. J’avais emprunté le couvercle de la théière de ma tante pour faire un enjoliveur de centre de roue avant! J’avais terminé deuxième et troisième, deux fois sur le podium. C’est Peter Ryan, le propriétaire du circuit Mont-Tremblant à l’époque, qui maniait le drapeau à damier. J’ai encore une photo pour immortaliser cela, avec le couvercle de la théière!
En octobre 1961, mon premier fils Mario est né. Et Daytona se courait désormais sur un circuit de deux miles. L’appel de la course était trop fort. En décembre, Sofia et moi laissions le jeune Mario à sa grand-mère pour partir en Floride. La voiture était prêtée (ou louée?) par mon frère. La remorque non couverte avait déjà beaucoup de kilomètres à son actif. Marcel Nadeau partageait notre aventure. Je m’engageais en Amateur sur ma BSA GoldStar et je terminais à une honorable 11e place sur plus de cent compétiteurs. C’est l’Américain Don Burnett qui gagnait l’épreuve en pro sur Triumph. Je ne savais pas encore que mon fils Miguel gagnerait cinq fois cette course, record du nombre de victoires, partagé avec Scott Russell. Et pour cause, il n’était pas encore né!
Nous retrouvions Mario fin mars 1962. Il montrait pour une première fois (mais pas la dernière) son fort caractère. Alors que sa mère le prenait dans ses bras, il tournait la tête, refusant le câlin maternel, comme pour montrer sa désapprobation d’avoir loupé cette course et la présence de ses parents. Il aurait l’occasion de se rattraper dans le futur!
En parlant de ses fils, il y a un moment fort et dramatique dans la vie familiale. L’hiver, les Duhamel se déplaçaient à leur chalet dans les Laurentides. Mario avait une douzaine d’années et Miguel six ans. Yvon souhaitait que ses fils suivent ses traces, mais Sofia ne voulait pas. Elle avait suffisamment peur avec son mari sur la piste, sans ajouter ses deux fils. Mais ce jour-là, de la neige accumulée sur le toit tombait sur Miguel et l’ensevelissait. Il aurait pu mourir asphyxié. Heureusement, Mario était présent et il lui sortait la tête hors de la neige. De cette mésaventure, Sofia a compris que la mort pouvait arriver à n’importe quel moment, même sans prendre de risques. Elle acceptait que les enfants fassent peut-être la même profession que leur père.
C’est tout pour cette première partie, racontée de la bouche même d’Yvon Duhamel. Vous retrouverez la suite de sa vie dans un prochain numéro du magazine.